17e dimanche dans l'année B

Kérit

La multiplication des pains est le seul miracle de Jésus qui nous soit rapporté (et à six reprises !) par les quatre évangiles. C'est dire l'importance que lui attribuaient les premiers chrétiens. C’est la version de Jean que nous venons d’entendre. Elle est tellement développée qu’il nous faudra pas moins que cinq dimanches pour l’entendre en entier.

Saint Jean nous dit donc que la foule ne court pas après Jésus pour se convertir, mais pour obtenir des guérisons, sans du tout comprendre qu’il s’agit de « signes. » On sait que Jean ne parle pas de miracles mais de signes, porteurs d’un sens caché qu’il s’agit de décrypter, sous peine de ne voir en Jésus qu’un guérisseur à qui on arrache quelque faveur.

« Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » La question est étonnante. Alors que tous les autres miracles sont accomplis à la demande des hommes, ici c’est Jésus qui en prend l’initiative. Philippe calcule l’énorme somme d’argent qui serait nécessaire et que l’on n’a pas. André signale les provisions d’un petit garçon, tellement insignifiantes vu les besoins ! Mais Jésus a trouvé ce qu’il cherchait dans ce petit garçon anonyme. Lui au moins ne calcule pas comme les grandes personnes et il a généreusement présenté la collation que sa maman lui a donné pour son excursion. Jésus ne se contente pas donc d'être rempli de compassion pour la foule affamée - comme nous le serions nous aussi facilement - mais, en nouvel Elisée (première lecture) il leur donne de la nourriture. 

Jésus a dit et répété que son royaume n'est pas de ce monde, mais aussi que ce royaume se réalise dans ce monde. Il est, Lui, le pain de vie; mais la vie humaine normale, ici-bas, est un élément de cette vie éternelle qu'il est venu apporter à l'humanité. Les hommes ont besoin de nourriture spirituelle; mais ils ont aussi besoin – et même en premier lieu, – de nourriture matérielle. Le problème de la faim dans le monde est un problème de juste répartition plutôt qu'un problème de ressources. Lorsque 6 % de la population mondiale consomme 90 % des ressources naturelles, nous ne sommes pas devant un problème de ressources ni un problème démographique. Nous sommes devant un problème de justice sociale. Ne pourrait-on pas comprendre dans ce sens du partage l'exhortation de saint Paul : « ayez beaucoup d'humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez à cœur de garder l'unité dans l'Esprit par le lien de la paix. »

Le texte ajoute ensuite : « Il prit…. rendit grâce … il donna… » C’est la phrase par laquelle les trois autres évangiles racontent l’institution de l’Eucharistie, et que, depuis des siècles, nous entendons à la messe. L’allusion eucharistique est claire, et sa place, en un second temps dans le récit, nous fait percevoir que l’Eucharistie ne commence pas par un rite, mais par l’écoute de la faim des hommes.

Mais revenons au jeune garçon. L’adulte gagne sa vie, tandis que l’enfant ne la gagne pas. C’est pourtant celui-ci qui détient la seule nourriture disponible. Pas n’importe quoi : du pain et des poissons, les deux symboles du Christ lui-même dans l’Église primitive. C’est bien l’enfant, celui qui doit s’appuyer sur un autre pour vivre, qui détient la Sagesse (Matthieu 19,14). L’enfant fait partie de ces pauvres auxquels seuls appartient le Royaume des Cieux.

Le contraste est aussi grand enfin entre l’énormité des deux cents journées de travail et l’insignifiance des cinq pains et deux poissons. Pour que Dieu puisse agir, il faut que l’homme apporte quelque chose, ce qu’il a et qui est sans proportion avec le don. Philippe n’avait apporté qu’une réponse superficielle. Le jeune garçon, lui, offre son propre repas, certes dérisoire au regard des cinq mille hommes. Mais Dieu donne en faisant donner, car pour recevoir, l’homme doit entrer dans le mouvement, dans la logique du don.

Comme le jeune garçon, le Christ donnera ce qu’il a et ce sera vraiment tout ce qu’il a : sa chair et son sang. Mais la chair livrée et le sang versé seront nourriture de l’homme pour la vie éternelle.

Kérit